halte à la HALDE !

Dans une délibération du 14 mai, la HALDE considère que le refus opposé aux mères d’élèves portant un foulard islamique d’accompagner des sorties scolaires est une discrimination et recommande aux établissements scolaires de modifier leurs règlements en conséquence. Et le ministre lui emboîte le pas sans rechigner ! Quels sont donc les motifs avancés ?

En lisant cette délibération on apprend que la HALDE a été saisie pour une dizaine de cas par des mères d’élèves ainsi que par une « association de lutte contre l’islamophobie ». On aimerait savoir laquelle… A noter que cette haute autorité accepte ainsi ce terme très controversé sans la moindre critique. Lamentable. Ceci dit il permet de comprendre qu’il s’agit du foulard islamique car cela n’est jamais précisé dans cette délibération. Révélateur d’une volonté de banaliser…

Premier motif avancé : les parents d’ élèves ne sont pas des agents publics et « selon une jurisprudence constante, les principes de laïcité et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble des agents publics, qu’ils soient chargés de fonctions d’enseignement ou non, mais non aux usagers. » Ce n’est pas tout à fait exact puisque la charte de la laïcité dit à ce sujet : « Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public [..]. Les usagers des services publics doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme. » Or on pourrait justement considérer que le port du foulard islamique, qui n’est pas un vêtement anodin, par des mères d’élèves en sorties scolaires est à la fois une atteinte à la neutralité de l’école et une forme de  prosélytisme auprès des enfants qui sont des êtres influençables.

La HALDE ajoute « Les parents d’élèves peuvent, dans certaines conditions, accompagner des élèves au cours d’activités scolaires se déroulant à l’extérieur de l’école pendant le temps scolaire ou participer à l’action éducative […]. Ils peuvent être assimilés, dans ce cadre, à des collaborateurs bénévoles du service public […]. Certaines inspections d’académie considèrent que cette qualité aurait pour conséquence de placer le collaborateur dans une situation comparable à celle d’un agent public, avec les mêmes obligations notamment au regard du principe de neutralité. Or, la notion de collaborateur bénévole est de nature « fonctionnelle » : sa seule vocation consiste à couvrir les dommages subis par une personne qui, sans être un agent public, participe à une mission de service public. Il ne peut donc être soutenu que la qualité de collaborateur bénévole emporterait reconnaissance du statut d’agent public, avec l’ensemble des droits et des devoirs qui y sont attachés. » C’est un raisonnement un peu spécieux car il ne s’agit pas de « reconnaitre » aux parents d’élèves en sorties un statut d’agent public mais de leur faire respecter les règles du service public puisqu’ils y prennent part.

La HALDE compare ensuite les parents d’élèves aux membres des congrégations religieuses qui interviennent en prison. Or si les règles en matière de laïcité sont particulières dans les prisons, c’est parce que ce sont des établissements fermés, ce qui n’est pas le cas des cas des écoles ou des collèges. Et le public concerné n’est pas le même non plus ! Mais d’une certaine façon c’est reconnaître inplicitement que les mères voilées représentent leur religion et ne sont donc pas neutres.
Autre argument, les parents d’élèves ne participent pas à des missions d’enseignement : « Or, les parents participant aux sorties scolaires semblent être dans une situation similaire dans la mesure où ils apportent leur concours aux établissements scolaires pour des tâches qui ne relèvent pas des missions d’enseignement, au sens strict, mais uniquement à l’occasion de sorties et/ou d’activités annexes. » Certes, mais les sorties scolaires font partie intégrante de la mission éducative (comme il était dit plus haut dans la délibération, au demeurant) et complètent de manière plus vivante les cours. A-t-il échappé à M. Louis Schweitzer que le ministère s’appelle, depuis quelques temps déjà, Ministère de l’éducation nationale et non plus Ministère de l’instruction publique…

Enfin la HALDE mentionne le Conseil d’Etat qui considérait en 1996 que « le seul port du foulard ne constituait pas par lui-même, en l’absence de toute autre circonstance, un acte de pression ou de prosélytisme. » On peut ne pas être d’accord : le port du foulard islamique relève souvent en occident d’une forme de militantisme. De plus, l’action éducative passe aussi par l’exemple que donnent les adultes : faire accompagner des sorties scolaires par des mères voilées est une façon de banaliser le port du foulard islamique et de le faire entrer dans les mœurs alors que ce bout de tissu est chargé de sens (infériorité de la femme, adhésion à un islam fondamentaliste, revendication communautaire…). Et ceci dans le cadre d’écoles publiques laïques (cf. le témoignage d’une enseignante)… N’importe quoi !

La HALDE cite l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme sur la liberté religieuse. Mais la liberté religieuse comme toute liberté n’est pas absolue. D’ailleurs un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme de 2004, qui a débouté une étudiante voulant porter le foulard islamique à l’université d’Istanbul, dit aussi : « L’article 9 ne protège toutefois pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par une conviction.[…]  Il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention par la réglementation de l’université d’Istanbul, qui soumet le port du foulard islamique à des restrictions, et les mesures d’application y afférentes, étaient justifiées dans leur principe et proportionnées aux buts poursuivis et pouvaient donc être considérées comme nécessaires dans une société démocratique ».
Voir aussi la résolution votée le 4 octobre 2005 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe exhortant tous les pays membres à : « Veiller à ce que la liberté de religion et le respect de la culture et de la tradition ne soient pas acceptés comme des prétextes à la justification des violations des droits des femmes […] ». (arrêt et résolution cités par Regards de femmes dans une lettre à la HALDE).
On ne peut pas faire n’importe quoi au nom de la liberté religieuse, notamment quand les valeurs de la dite religion vont à l’encontre d’autres valeurs essentielles. Hiérarchie des valeurs, toujours. Les parents d’élèves, puisqu’ils collaborent à une activité éducative d’un service public, doivent se soumettre aux valeurs et aux règles de celui-ci. Point barre.
Sinon on ne saurait trop conseiller aux parents adeptes du naturisme de se porter volontaires pour encadrer des sorties scolaires de découverte du littoral et de se mettre nus une fois sur la plage, puisque après tout ils ne font pas de l’enseignement, ne sont pas des agents publics et doivent pouvoir afficher librement leurs convictions… Et si la fois suivante on ne les prend plus comme accompagnateurs, qu’ils s’adressent à la HALDE pour dénoncer ce cas manifeste de discrimination « fondée sur la religion ou les convictions ».

Publié le 13 juin 2007, dans BEST OF, politique et société, et tagué , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 9 Commentaires.

  1. Excellent analyse Polluxe ! La question que je me suis souvent posée à propos du foulard islamique : il m’est souvent arrivé de croiser dans la rue des adolescentes portant le foulard, et en même temps maquillées à outrance, moulées dans des jeans que je n’oserais jamais mettre, avec talons hauts etc. Alors de deux choses l’une : ou bien elles se maquillent et se changent après être sorties de chez elles, puis refont l’inverse avant de rentrer – mais dans ce cas pourquoi garder le foulard ? – ou bien ce foulard n’a rien d’un signe de respect de la religion (préserver la « modestie », la « pudeur » et la « vertu » féminines) mais est une affirmation politique et effectivement, un moyen de pression et de prosélytisme. Tout aussi triste que le Vatican qui retire son soutien à Amnesty International parce que l’ONG est pour l’avortement en cas de viol ou quand la santé de la mère est menacée !
    Au fait, merci pour ton petit comment !
    Bises, Natacha

  2. Eh bien ! me voilà pour une fois en désaccord avec vous (et grosso modo, en accord avec l’argumentation de la Halde).

    Il y a beaucoup de mamans voilées dans mon quartier. Je trouverais très étrange de leur interdire d’accompagner mes enfants en sortie, ou de leur interdire d’être habillées normalement pour le faire ; pour moi, elles y vont en tant que mamans « comme les autres », simplement plus serviables que d’autres, et je ne verrais absolument pas dans leur participation à ces sorties, avec leur foulard, une forme de prosélytisme vis-à-vis de qui que ce soit.

  3. L’avis de la HALDE me semble effectivement, d’après la présentation que vous en faites, sujet à caution sur le plan juridique. En tout état de cause, la question ne sera tranchée que si le conseil d’Etat est amené à se prononcer.

    Sur la question de la mise en oeuvre du principe de neutralité, il a pu ainsi décider dans un avis de 2000 (CE avis 2000 Mlle Marteau) que le principe de neutralité s’appliquait aux agents de l’administration, ce qui reprenait une jurisprudence ancienne des années 50 (CE 1952 Demoiselle Weiss si je me souviens bien). Dans l’arrêt de 1994 Kherroua, dit du foulard islamique, il a appliqué la même solution aux usagers.

    Dans ce cas précis, il y a peu de doute que les mères qui accompagnent des sorties scolaires soient des collaborateurs occasionnels de l’administration : elles participent à une mission de SP et leur présence est explicitement acceptée par l’administration – quand elle n’est pas sollicitée (CE 1946 Cne de Saint-Priest-la-Plaine). On voit dès lors mal pourquoi un collaborateur occasionnel de l’administration pourrait s’affranchir des règles qui s’imposent à la fois à un usager et à un agent permanent de l’administration.

  4. @ GroM : tout à fait, un collaborateur occasionnel doit suivre les règles de l’administration pour laquelle il travaille.

    @ Natacha : j’ai remarqué moi aussi ce genre de filles ; dans ce cas le foulard islamique me parait relever d’une revendication identitaire, par opposition à la culture et aux moeurs occidentales, une forme de provocation.

    @ Frédéric : tu dis « Il y a beaucoup de mamans voilées dans mon quartier. Je trouverais très étrange de leur interdire d’accompagner mes enfants en sortie, ou de leur interdire d’être habillées normalement pour le faire ; pour moi, elles y vont en tant que mamans “comme les autres” ».
    Cette remarque est bien le signe d’une extension et d’une banalisation du phénomène car pour moi qui ne vit pas en banlieue, ces femmes ne sont pas habillées « normalement » et ne sont pas des « mamans comme les autres » : elles portent sur elles « la marque de l’esclave » et véhiculent (à leur corps défendant peut-être) un système de valeurs opposé au notre, résultat d’une mauvaise intégration et d’une montée de l’intégrisme musulman.
    Mais avec la suppression de la carte scolaire, les parents qui ne souhaitent pas que leurs enfants soient accompagnés en sorties par des femmes voilées, pourront les changer d’établissement…

  5. @Polluxe: enfin, hors le cas d’urgence bien entendu. Ainsi s’il y a le feu, on va demander à l’imam qui passe part là et qui se précipite au secours des victimes d’enlever son turban, pas plus qu’on ne demanderait au curé d’enlever son col romain !

  6. @Polluxe: « avec la suppression de la carte scolaire, les parents qui ne souhaitent pas que leurs enfants soient accompagnés en sorties par des femmes voilées, pourront les changer d’établissement… »

    Quelle victoire !

  7. Bien sûr hors les cas d’urgence, mais il n’y a jamais urgence à faire une sortie scolaire (pour le cas qui nous occupe) 🙂
    Quant à la remarque sur la carte scolaire, ce n’est pas un sentiment de victoire, c’est du mauvais esprit 😉

  8. Je suis d’accord avec FredericLN.
    Vous considérez ces femmes comme des victimes d’un islam intégriste et vous leur refusez la possibilité de s’intégrer normalement dans la vie de la Cité comme n’importe quel parent.
    Pour ma part, je pense que beaucoup de ces femmes ne considèrent pas que porter le voile soit un signe d’oppression, juste un signe de leur foi, comme certains parents portant autour de leur cou leur médaille de baptème ou une petite croix.

  9. Bien sûr que pour beaucoup de ces femmes ce n’est qu’un signe de leur foi, mais là n’est pas la question. Ce n’est pas comment elles se considèrent qui est important, c’est le sens que véhicule ce vêtement et il me parait inopportun de signifier à des enfants dans le cadre d’une sortie scolaire que ce vêtement est banal.
    « vous leur refusez la possibilité de s’intégrer normalement dans la vie de la Cité comme n’importe quel parent. » Oui, tout à fait. On ne doit pas accepter n’importe quoi au nom de l’intégration.