MDB #3 : Monteil dit Beauvoir

Elle est arrivée en avance, le parapluie serré contre l’imper, petit bout de femme dynamique de 62 ans. Comme Beauvoir, quand elle l’a connu en 1970. Elle avait alors 20 ans. Une entrecôte prestement avalée, Claudine Monteil a commencé son récit sur sa rencontre avec Beauvoir et les premiers temps du MLF, à la manière d’un peintre, brossant devant nous des tableaux plein de bruits et de vie. Et dès les premières touches, ça tape fort.

« Les trois principaux dirigeants de mai 68 étaient des hommes. […] Dans les mouvements étudiants, les femmes n’avaient le droit que de se taire ou de distribuer des tracts. »

Elle quitte alors ces mouvements pour le MLF dont elle devient la benjamine. Et rencontre Beauvoir : « vous êtes en retard » seront les premiers mots de cette intellectuelle obsédée par le temps.

« Beauvoir parlait d’égal à égal avec vous, elle vous demandait votre avis. Mais il fallait lui répondre rapidement car sinon vous ne l’intéressiez plus ».

Et elle enchaîne les récits : le manifeste des 343, les rencontres à la Mutualité, le procès de Bobigny… Point commun de ces moments forts : le combat pour le droit à un « avortement libre et gratuit », 1ère étape des luttes féministes, qui aboutira à la loi Veil en 1975.

On perçoit alors l’ambiance de l’époque : la prise de risque social – signer le manifeste n’était pas un acte anodin -, les tentatives de ridiculisation à connotation sexuelle – toutes des « lesbiennes » ou des « mal baisées » –  mais aussi l’effervescence, la joie ; lors du procès de Bobigny, Beauvoir a fait la leçon sur la condition des femmes à des juges qui baissaient de plus les yeux tandis que la salle riait… juges que l’on imagine bien débordés, hurlant « silence ou je fais évacuer la salle »… On mesure ainsi l’importance que peuvent avoir dans ces moments là des personnalités de la pointure de Beauvoir mais aussi la circulation des idées et l’opinion publique.

Après ces récits épiques, Claudine Monteil s’est prêtée au jeu des questions-réponses qui ont permis de préciser ses idées et d’esquisser une feuille de route :

  • toute action – comme le Women’s Forum – qui met en lumière les femmes est positive, car ce dont les jeunes générations ont besoin ce sont des modèles positifs à suivre ; c’est  pourquoi, même si bien sûr il faut lutter contre les violences faites aux femmes, il ne faut pas se focaliser dessus et se limiter à ça. [ Je plussoie, comme on dit sur la toile : des campagnes trop poussées sur le sujet peuvent involontairement – et peut-être inconsciemment – conforter l’image de la femme victime].
  • il ne faut pas se laisser arrêter par des postures du style « je suis féministe mais… », posture qui existe encore en France à cause d’un machisme latin et qui n’est qu’une forme d’intégration de l’aliénation [je reconnais Beauvoir là… ] ou du style « les combats féministes n’ont plus lieu d’être aujourd’hui » car on disait la même chose en 1949 du fait de l’existence du droit de vote des femmes.
  • il ne faut rien laisser passer en matière de laïcité, la loi de 1905 est une loi qui protège le plus les femmes et Beauvoir était une grande laïque.
  • d’un point de vue pratique, il faut se rapprocher des groupes nordiques, créer des liens dans le monde du travail avec des femmes, investir les médias et exiger, par exemple dans le cadre de l’éducation civique, 2 heures de cours sur l’histoire des femmes.
  • il faut rester vigilante car on entre dans une époque difficile (surpopulation, difficulté d’accès aux matières premières…) et les droits des femmes risquent d’en pâtir. Il y a un risque de retour à l’essentialisme. [ Comme Badinter, Monteil ne croit pas à l’égalité dans la différence et se positionne en universaliste.]

Au delà des querelles philosophiques, il me semble que cette notion de vigilance est importante. Et c’est peut-être le principal message que Claudine Monteil, à travers ses différentes interventions, souhaite faire passer. Car aujourd’hui elle souhaite témoigner, réaliser son « devoir de transmission » (cf. vidéo ci-dessous) en disant aux jeunes générations ce que lui disait Beauvoir – et qui reste d’une actualité parfois criante – à savoir que rien n’est jamais acquis:
« […] à chaque victoire, Simone de Beauvoir me disait : « Tout ça c’est très bien mais ce n’est pas gagné pour toujours. N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise économique, politique ou religieuse, pour que vos droits soient remis en cause. Ils seront remis en cause de manière insidieuse. Et donc toute votre vie vous devrez rester vigilante et active en faveur de vos droits. »« 

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Pour finir, voici la liste des heureuses participantes :

Isabelle Germain

Augustine Blaisdelle

Les diablogues du vagin, Léa Lejeune

Luciamel

Nectar du Net

Olympe et le plafond de verre

Le blog d’une femme de sportif

Le journal de maman

Fée myrtille

Alibibi (épices)

Entrées en lice

Scharlotte en France

Decumanos, Barbara Boehm

Sandrine Joseph

et notre portraitiste presque attitré 😉 :

Simon Gaetan

Publié le 1 avril 2011, dans MDB, verbatim, et tagué , , , , . Bookmarquez ce permalien. 11 Commentaires.

  1. ahhh, moi qui étais venue les mains dans les poches et écoutais bouche bée, je te voyais noircir ton carnet ton notes… 🙂

    beau compte-rendu, vraiment.

  2. Gabrielle a raison : chapeau madame !!! On retrouve bien le déroulement de la soirée et la plupart des thèmes évoqués. J’aime bien ton approche (parce qu’elle est différente de la mienne).

  3. Ah mais c’est passionnant ! merci d’avoir pris des notes ! c’est pile ce qu’il faut, je file lire tes liens, mais vraiment merci : c’est instructif avec pile ce qu’il faut d’anecdotes pour qu’on retienne et que ce soit plaisant à lire, j’adore !

  4. Merci les filles.

  5. très complet ton compte rendu. Du coup je ne vais pas tout répéter

  6. 2 heures par semaine sur l’histoire des femmes?

  7. @ romain : je ne sais pas… plutôt par mois je pense.

  8. Vous trouvez vraiment que c’est une bonne idée d’inclure un volet spécifique  » histoire des femmes » en éducation civique?
    A quoi servent donc les cours d’histoire? Ils ont le mérite de s’inscrire dans une chronologie, un contexte . De ce fait, ils sont vivants.

    Les cours à but strictement éducatifs sont des cours morts et dogmatiques. Les élèves ne s’y trompent pas. Ma fille en collège me raconte qu’elle en a ras le bol des leçons de morale.

    C’est décidément une manie de vouloir absolument éduquer à coup de leçon.

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