licencier des fonctionnaires

Licencier des fonctionnaire ? Oui, c’est possible. Est-ce-que c’est nouveau ? Oui et non.
En fait le licenciement était déjà mentionné à l’article 24 de la loi de 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires, mais n’était semble-t-il utilisé que très rarement, en cas de faute grave. C’était une sorte de sanction.  Ce qui change aujourd’hui c’est que le licenciement peut intervenir suite à une réorganisation de l’administration selon le schéma suivant : réorientation professionnelle, mise en disponibilité, licenciement après refus de trois postes. C’est ce que dit le décret relatif à la situation de réorientation professionnelle des fonctionnaires de l’Etat :

Article 1
Le fonctionnaire dont l’emploi a vocation à être supprimé dans le cadre d’un projet de réorganisation ou d’évolution de l’activité du service dans lequel il est affecté peut être placé en réorientation professionnelle en l’absence de possibilité de réaffectation sur un emploi correspondant à son grade au cours de la période couverte par ce projet. Il demeure en position d’activité tout au long de la période de réorientation professionnelle.
Article 9
La réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire est nommé sur un nouvel emploi ou est placé, à sa demande, dans une autre situation ou position statutaire.
Elle peut également prendre fin à l’initiative de l’administration, après avis de la commission administrative paritaire, après que le fonctionnaire ait refusé successivement trois offres d’emplois dans les conditions prévues à l’article 44 quater de la loi du 11 janvier 1984 susvisée.
Article 10
La mise en disponibilité prévue à l’article 44 quater de la loi du 11 janvier 1984 précitée est prononcée pour une durée indéterminée.
Au cours de cette période, la réintégration peut intervenir, à la demande du fonctionnaire, sur l’une des trois premières vacances dans son corps d’origine.
Le fonctionnaire qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposés en vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire ou s’il a droit à pension, admis à la retraite.

Le problème c’est qu’ainsi licencié le fonctionnaire se trouvera dans une situation pire qu’un salarié du privé puisqu’il n’aura pas d’indemnités chômage ! Et pour cause… Ce n’était pas prévu par le statut de départ comprenant la sécurité de l’emploi ! De plus c’est une rupture de contrat puisque cela revient à supprimer un élément du statut existant au moment où le fonctionnaire est entré dans la fonction publique. Qu’en disent les blogueurs juristes comme Jules ou Authueil ?

Le premier ministre parle de mauvais procès. C’est certes un mauvais procès dans le sens que ce texte n’est qu’un décret qui vient préciser une loi antérieure ayant mis en place ce système : la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnel dans la fonction publique. Loi votée au mois d’août d’ailleurs… Tiens, tiens… Cette loi a modifié la loi de 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, en y ajoutant:

Article 44 bis
En cas de restructuration d’une administration de l’Etat ou de l’un de ses établissements publics administratifs, le fonctionnaire peut être placé en situation de réorientation professionnelle dès lors que son emploi est susceptible d’être supprimé.
Article 44 quater
La réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire accède à un nouvel emploi.
Elle peut également prendre fin, à l’initiative de l’administration, lorsque le fonctionnaire a refusé successivement trois offres d’emploi public fermes et précises correspondant à son grade et à son projet personnalisé d’évolution professionnelle, et tenant compte de sa situation de famille et de son lieu de résidence habituel. Dans ce cas, il peut être placé en disponibilité d’office ou, le cas échéant, admis à la retraite.

Mais le problème de fond demeure. Et le décret ne dit rien sur la prise en compte de la situation personnelle (famille, résidence). Au delà de quelle distance par rapport à sa résidence habituelle considérera-t-on que le fonctionnaire pourra refuser le poste sans être pénalisé ?
Supprimer des postes est une chose. Supprimer des personnes en est une autre.

Quant à l’argument qui consiste à dire que la sécurité de l’emploi est un privilège… c’est n’importe quoi. A ce compte-là le CDI est un privilège par rapport au CDD, le travail par rapport au chômage… La précarité serait-elle alors la norme ? Certains sont plus que jouasses et parlent de la fin de l’apartheid entre les fonctionnaires et les « salariés du privé qui payent souvent les pots cassés de la défense à tout crin d’un système inique ». Rien que que ça ! C’est d’une mauvaise foi consternante.
C’est curieux mais on ne parle pas de privilège pour les salaires des PDG. Ce doit être un problème de définition…  A moins que ce ne soit l’application du proverbe : qui veut noyer son chien…

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Publié le 4 février 2010, dans politique et société, et tagué . Bookmarquez ce permalien. 9 Commentaires.

  1. Ajoutons que la sécurité de l’emploi a sa contre-partie : à niveau de qualification égal, les fonctionnaires sont bien moins payés que dans le privé !

  2. Je suis d’accord sur le fond mais pour autant il me semble anormal qu’ils ne puissent être sanctionnés par le licenciement !
    Je suis choqué de savoir qu’un fonctionnaire qui travaille mal ou qui n’en fout pas une ramée (je ne généralise pas mais j’en connais) sont complètement protégés alors qu’ils vivent aux crochets d’un Etat exangue et qu’accessoirement ils contribuent à la (fausse) réputation de leurs congénères !
    Et puis sinon comment réagir à celui refusera systématiquement toutes les propositions de mobilité qu’on lui fera sous un prétexte ou sous un autre ?

    Par contre, évidemment, si on introduit des clauses de licenciements dans leurs contrats cela ne devra s’appliquer qu’aux nouveaux, cela devra être suffisamment bordé pour qu’ils n’y ait pas d’abus de la part de l’administration et ils devront bénéficier du chômage !

  3. @ Nicolas : complétement d’accord avec ta dernière phrase ; une modification d’une telle importance ne peut s’appliquer qu’aux entrants avec indemnités chômage à l’appui et de meilleurs salaires, comme le rappelle Florent…

    Pour le reste avant de songer aux licenciements il peut y avoir d’autres sanctions, une sorte de réponse graduée.
    Et pour ce qui est de la mobilité : tout dépend dans quel esprit c’est fait ; or quand la confiance ne règne pas, on peut avoir l’impression que c’est juste un moyen de pousser les gens vers la sortie.

  4. Petits compléments :

    1/ Le licenciement prévu par les textes n’est pas une sanction mais la constatation d’une « insuffisance professionnelle ». La sanction, elle, s’appelle révocation, et elle est entourée de tout un tas de garanties (accès au dossier, conseil de discipline).

    En outre, la notion de sanction me semble ici hors-sujet puisqu’on est a priori dans le cadre d’une réorganisation de l’administration, plus proche des débats relatifs aux plans sociaux qu’à ceux concernant la distinction entre fautes simple, lourde ou inexcusable.

    2/ Pour mémoire, les fonctionnaires cotisent aux ASSEDIC (puisqu’ils versent une « contribution de solidarité », dont le taux est la moitié de celui applicable aux travailleurs salariés de droit privé).

    3/ Les fonctionnaires n’ont jamais de contrat. Ils sont dans une position statutaire (= législative et réglementaire) qui fait qu’ils ont même besoin de l’accord de l’Autorité administrative pour… démissionner. Regardez dans le JO, vous trouverez des textes acceptant des démissions (par exemple ici la démission d’un certain M. TISSOT, inspecteur des finances).

    4/ J’attire votre attention sur la rédaction retenue : la réaorientation professionnelle peut « prendre fin, à l’initiative de l’administration, lorsque le fonctionnaire a refusé successivement trois offres d’emploi public fermes et précises correspondant à son grade et à son projet personnalisé d’évolution professionnelle, et tenant compte de sa situation de famille et de son lieu de résidence habituel ».

    Tenir compte, ce n’est pas un engagement très fort de l’administration…

  5. Merci pour ces compléments.
    1) Oui, je m’étais fait la réflexion que cela ressemblait à des plans sociaux.
    3) on peut parler de contrat moral alors comme tu le dis chez Authueil : « Remettre cela en question, c’est remettre en question le « contrat » fondamental liant le fonctionnaire et l’Etat ».
    4) Tout va dépendre en effet des critères du « tenir compte » pour lesquels je n’arrive pas à trouver des précisions…

  6. Bonjour Polluxe,

    Je souhaite répondre à FLORENT
    1\être fonctionnaire c’est un choix
    2\ Sur un même poste, il n’y a pas de différence de salaire entre un homme et une femme.
    3\ le calcul du montant de la retraite est bien different ( ce n’est pas une critique, c’est un constat.)
    4\Polluxe, ce n’est pas un plan social. Aujourd’hui dans le privé, dans le cadre d’un licenciement économique tu as deux possibilités : tu choisis la CRP (stagiaire de la formation continue) avec pôle emploi ou bien chômeur avec pôle emploi.

  7. @ Rose : ce n’est pas un plan social mais cela y ressemble dans l’esprit pour reprendre le point 1/ de Cimon.
    On pourrait dire aussi qu’être salarié du privé est un choix : que sous-entend cette phrase ?

  8. @ Rose : bien entendu, et (sauf pour quelques cas, par exemple certains personnels hospitaliers et universitaires) je ne dis pas que les salaires des fonctionnaires sont trop bas et devraient être augmentés (quand on choisit ces métiers, on le fait par vocation et par ailleurs on dispose de certains autres avantages) ; je venais juste ajouter un élément à la liste, car si on revient sur la sécurité de l’emploi (qui ne se justifie pas forcément toujours, c’est un vrai débat), alors il faut aussi revoir d’autres paramètres…

  9. La sécurité de l’emploi peut sembler être un privilège pour le collaborateur du privé, davantage sujet à licenciement, parfois sans plan social. Cela dit, ce « privilège » se repaie par d’autres éléments: secret de fonction, obligation d’habitat, statut particulier, etc. Cela, sans compter que certains emplois de la fonction publique sont (ou en tout cas étaient) assez difficiles à réutiliser tels quels dans le privé (facteur, pilote de locomotive, etc.). A cette aune, c’est plutôt un « donnant-donnant ».