les minarets, comme une boule de flippeur

minaretsLe résultat du vote suisse sur les minarets n’en finit pas de rebondir sur différents sujets… comme une boule de flippeur, au point qu’il est difficile d’avoir une vision d’ensemble de ces multiples télescopages – à moins que quelqu’un ait fait une perle ?
Les deux principales réactions main stream sont la critique virulente de la démocratie directe, du référendum, du peuple « mal éclairé » qu’il faudrait faire revoter et le haro sur cette manifestation d’intolérance, de xénophobie, « d’islamophobie »… avec pour arrière-plan en France, le débat sur l’identité nationale.

Si la 2e réaction est habituelle, la première l’est moins, bien que ce ne soit pas la première fois : après le premier non des Irlandais au Traité de Lisbonne, il y avait déjà eu ce genre de réactions. D’ailleurs depuis les Irlandais ont revoté. Ce qui pouvait éventuellement se concevoir au sujet d’une question complexe engageant le reste de l’Europe, devient plus difficile à défendre dans le cadre d’un référendum interne, d’une « votation » comme disent les Suisses. Et ironie de l’histoire, les mêmes qui soutenaient le premier vote des Irlandais au nom de la démocratie, dénoncent aujourd’hui les Suisses et veulent les faire voter à nouveau.
Ceci est très révélateur : pour un grand nombre de personnes, la démocratie n’est pas un système politique défini avec des règles concernant le vote, les électeurs, les élections, les référendum… non, la démocratie c’est quand le peuple suit leur avis, éclairé bien sûr. Un peu comme si la démocratie était de fait une aristocratie au sens premier du terme (gouvernement des meilleurs), un jeu dans lequel le peuple est là, non pas comme souverain, mais comme homme de paille que l’on fait voter de temps en temps et qui doit se conformer à ce que l’on attend de lui pour ne surtout pas empêcher de gouverner en rond… Comme le dit très justement l’hérétique, c’est une forme de mépris pour le peuple et un déni de démocratie. C’est aussi une forme de mépris pour les Suisses, d’où l’intéressante mise au point sur la démocratie directe helvétique de Julien.

Sur le fond, quel est le problème ? Au delà d’un contexte précis, ce ne sont pas vraiment les minarets qui posent problème – tout bâtiment religieux a tendance à s’élever vers le ciel et à marquer le territoire – ni les mosquées – toute religion a ses édifices – mais l’islam lui-même, dans le sens qu’il provoque la crainte et la méfiance. Et ce n’est pas en « stigmatisant » – pour reprendre un mot à la mode – les gens qui ont peur avec toute la panoplie des -ismes et des -phobies que l’on va se débarrasser du problème. Au contraire, cela a toutes les chances d’être contre-productif. Comme le dit Ludovic : «Les Suisses craignent et rejettent un islam militant, prosélyte, qui revendique et impose ses pratiques. Il va falloir les écouter.»
La première question à poser pourrait être : pourquoi l’islam fait peur ?
Les attentats récents sur le sol américain ou européen, les discours intégristes ou islamistes, l’apparition du voile puis du voile intégral, les demandes de traitement spécifique dans les cantines, les piscines ou les hôpitaux, la place de la femme ou de l’homosexualité… tout cela, alors que la visibilité de l’islam via de grandes mosquées comme à Marseille augmente, peut apparaitre comme une menace pour le mode de vie européen, la laïcité ou la culture chrétienne de l’Europe. Ce qui n’est pas le cas des cloches, des marchés de Noël, de la visite du Dalaï-Lama, des défilés de Ganesh ou du nouvel an chinois…
Bref, on peut raisonnablement penser que le potentiel anxiogène de l’islam est fort.
Finalement je suis assez d’accord avec la conclusion de Sarkozy dans sa tribune du Monde – même si sa pratique n’a pas toujours été au diapason :

Respecter ceux qui accueillent, c’est s’efforcer de ne pas les heurter, de ne pas les choquer, c’est en respecter les valeurs, les convictions, les lois, les traditions, et les faire – au moins en partie – siennes. C’est faire siennes l’égalité de l’homme et de la femme, la laïcité, la séparation du temporel et du spirituel.
Je m’adresse à mes compatriotes musulmans pour leur dire que je ferai tout pour qu’ils se sentent des citoyens comme les autres, jouissant des mêmes droits que tous les autres à vivre leur foi, à pratiquer leur religion avec la même liberté et la même dignité. Je combattrai toute forme de discrimination.
Mais je veux leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s’inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique.

Ça me rappelle une citation datant de la Révolution Française : «les juifs auront tout en tant que citoyen, rien en tant que nation» (on dirait aujourd’hui « communauté »).
Si quelqu’un peut en retrouver l’auteur…

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Publié le 10 décembre 2009, dans politique et société, et tagué , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 21 Commentaires.

  1. Polluxe: pour le discours sarkozien, « ceux qui accueillent » par opposition à ceux qui arrivent, ça écrase un peu le fait qu’il y a des musulmans depuis longtemps en France.
    Ce qui est pénible, c’est ce phénomène de mascaret: l’islamisme qui monte en force alors que, globalement, le racisme baisse, ou que les efforts vont en ce sens. «Les Suisses craignent et rejettent un islam militant, prosélyte, qui revendique et impose ses pratiques.  »
    Et traiter de gros cons intolérants, ou de faiblards manipulés, ceux qui expriment leur crainte, ou , simplement, disent ce qu’ils voient… ça profite à qui, finalement ?

  2. Je recopie un commentaire, qui vient de tomber sur mon blog :

    il y a eu 70 recours (!) contre le minaret de Wangen et quatre ans de procédure. Je me demande combien cela a coûté et qui a payé. Et le résultat? Il y a un minaret… mais relations tendues entre les communautés. Comble de provocation, le minaret porte un drapeau des loups gris, emblème du mouvement d’extrême droite turc nationaliste: http://www.fr.wikipedia.org/wiki/Loups_gris.
    (blog de Sami Aldeeb, Tribune suisse de Genève)

  3. Au sujet des minarets, la laïcité me pousse à dire qu’il n’y a aucune raison de les interdire, mais cette même laïcité me fait dire qu’il faut par contre en interdire la prière, car si toutes les sectes et religions se mettent à nous imposer leurs prières ou propagande dans la rue, cela devient impossible à supporter.
    Par contre dans sa tribune du monde, Sarkosy en voulant désamorcer la polémique sur l’anti-islamisme ou sur le racisme qui renaît de ce débat idiot sur l’identité nationale, fait exactement le contraire. Au lieu de définir ce que doit être ce débat et d’en expliquer son utilité, il ne parle que d’anti-islamisme et racisme.
    Dans le bout de texte que vous citez, il y a deux mots qui me gènent beaucoup, c’est « temporel » et « spirituel ». Est ce un président de la République française, laïque qui s’exprime ainsi ou le chanoine de Latran qui use de termes empruntés à la religion catholique.Un Laïc aurait parlé de séparation de l’Etat et du monde religieux ou de séparation du domaine public d’avec le domaine religieux ou… mais certainement pas du temporel et du spirituel.
    De même dans tout son texte, il parle de rassembler tous les croyants de tous poils mais « oublie » les athées et les agnostiques qui pourtant et fort heureusement sont les plus nombreux.

  4. @ Suzanne : en effet le mépris n’est jamais une solution ; « depuis longtemps » correspond à combien de temps ?

    @ andre777 : « l’anti-islamisme » ?! de quoi s’agit-il ?
    pour l’utilisation des termes « temporel » et « spirituel » vous pinaillez un peu car même s’ils sont issus du vocabulaire chrétien, ils veulent dire la même chose que « séparation de l’État et du religieux » ; de plus ils rappellent indirectement que cette séparation entre le religieux et le politique prend racine dans le christianisme lui-même… argument peut-être destiné à toucher les musulmans…

  5. Polluxe: quand j’écrivais « depuis longtemps », je pensais aux années 60, puis au regroupement familial des années 70. Les enfants d’immigrés nés dans ces années-là ont eux même des enfants adolescents maintenant, qu’on ne peut pas considérer comme « des gens qui arrivent ».

  6. Tout à fait, mais je pense que dans cette phrase NS énonce un principe général sur la relation accueillants/accueillis.
    Pour moi les années 60, ça ne fait pas longtemps ; sans doute une trace de mes études d’Histoire 🙂

  7. D’où l’avantage d’énoncer clairement, etc…. autant pour moi !
    Sinon, d’accord aussi avec le dernier paragraphe du commentaire d’André, sauf que les athées et les agnostiques sont de plus en plus critiqués. Je n’ai pas dit stigm…., hein. Je souris que vous mettiez « stigmatiser » entre guillemets. J’avais écrit il y a quelques mois. un petit billet à ce sujet, et je crois que c’est un cliché grillé maintenant. Je prédis un bel avenir à « ostraciser ».

  8. Dans « ce qui fait peur » à propos de l’Islam, il y a surtout la peur d’une fin de la laïcité…

  9. @ Suzanne : oui, les mots ont une histoire…

    @ Nicolas : tout à fait ; tiens pourquoi mets-tu un i majuscule à islam ? 😉

  10. Polluxe : je suis nul en majuscule, donc j’en mets à peu près partout, dès que j’ai un moindre doute. D’ailleurs, Didier m’engueule parfois à ce sujet.

  11. Liberté de religion oui, sauf que nous voyons bien ce qui se passe dans l’Europe entière avec l’Angleterre qui a ouvert les écoutilles à tout va à ces extrémistes religieux. C’est l’extrémisme religieux qu’il faut repousser.

    Le fond du problème, comme le souligne Suzanne et qui n’est repris d’aucun média, est la poussée de l’Islam radical via ces constructions massives de minarets financés exclusivement avec les capitaux étrangers, l’Arabie Saoudite et Al Qaeda. Il faut le dire !

    Dès l’instant où ces édifices seront construits et contrôlés par les Etats membres, le problème sera réglé, sauf, que personne ne veut prendre de telles responsabilités. Le serpent se mord la queue inlassablement, on laisse faire, on laisse s’établir sur nos sols des groupuscules dangereux tels que les Loups gris décrits par Suzanne.

    Aucun média ne veut en faire étalage, pourquoi ? Qui est actionnaire majoritaire des médias en Europe ? Allez, on pousse la réflexion toujours plus loin…

  12. @ M : Je suis d’accord avec toi, le problème c’est l’islam radical, le minaret n’est qu’un symbole. Mais je ne pense pas qu’il faille pour autant faire financer les édifices religieux, en l’occurrence les mosquées, par les Etats. D’autant qu’un tel financement ne garantirait pas que le message véhiculé à l’intérieur ne soit pas radical.

  13. Je suis franco-suisse, de Suisse Romande, celle qui se sent plus d’affinités avec la France qu’avec la Suisse Alémanique.
    Cette affaire m’inspire deux réflexions :
    – la première facile et rapide : quid d’un tel référendum en France?
    – la deuxième, moi qui connaît bien ma Suisse natale, son patois ses coutumes et traditions largement relayées par la jeunesse, je pense que c’est surtout la peur de voir tous les particularismes régionaux, voire communaux, se diluer, être dépassés, surpassés, écrasés … bref céder le pas à un Islamisme que peu connaissent vraiment.
    C’est souvent la méconnaissance qui fait peur, qui développe des sentiments de paranoïa. le vrai problème c’est que beaucoup font l’amalgame entre Islamisme et Intégrisme.
    J’habite en France dans une ville à forte population arabe et je vois au quotidien des Musulmans, des femmes voilées ou pas, des hommes barbus ou pas, des gens qui demande juste à pouvoir pratiquer leur religion et d’autres qui aimeraient bien pouvoir l’imposer … un peu, beaucoup…
    Difficile de concilier laïcité et liberté de culte.

  14. @ babycakes : « bref céder le pas à un Islamisme que peu connaissent vraiment.[…] beaucoup font l’amalgame entre Islamisme et Intégrisme. »

    Islamisme dans votre esprit veut dire islam, je suppose, car islamisme et intégrisme sont proches : https://polluxe.wordpress.com/2006/09/04/islamismes/

  15. C’est vrai j’ai mal utilisé le mot « islamisme », merci d’avoir corrigé.

  16. Ce qui m’a frappée, dans ce débat, c’est comme les Suisses ont été « stigmatisés ». Je demeure convaincue qu’en France, les résultats d’un référendum sur le sujet seraient proches de ceux enregistrés en Suisse. Il n’est qu’à se souvenir du second tour de la présidentielle de 2002 pour comprendre que ce refus ne serait pas le reflet d’un extrémisme. Il y a en France un courant de bien-pensance qui s’est offusqué de ce qui s’est passé en Suisse sans trop s’interroger, ce que j’ai jugé désolant.

  17. Désolant, je suis d’accord.

  18. Et si ce n’était pas de la bien-pensance ? Et si c’était une façon de dire que, finalement, on n’est pas opposé (ou davantage) aux idées politiques qui s’avancent de moins en moins masquées ? Il va peut-être falloir penser à ça, que ceux qui demandent l’abrogation de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, qui demandent la révision ou l’abrogation de la loi de 1905, qui demandent des aménagements visant à exclure les femmes de la sphère publique, sont porteurs d’un projet politique, pas seulement de revendications anti racistes, mais d’un projet politique… et que ceux qui les soutiennent, eh bien… sympathisent et adhèrent plus où moins à ces idées. On est dans le mou politique, et les islamistes ont pour eux la cohérence, la simplicité, un bon pouvoir fort ne serait pas pire qu’un autre, Tariq Ramadan ne dit pas que des bêtises, et la dictature a toujours quelque chose de fascinant…

  19. Je ne sais pas qui demande l’abrogation de la loi de 2004 aujourd’hui, mais ces gens sont de fait porteurs d’un projet politique même s’ils ne l’affichent pas. La cohérence et la puissance attirent toujours en effet, sans doute parce que c’est à la fois rassurant et exaltant…

  20. Polluxe: « Je ne sais pas qui demande l’abrogation de la loi de 2004 aujourd’hui ». José Bové, Besancenot, d’autres encore…

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