la paille et la poutre

Connaissez-vous Jin Jing ? C’est cette athléte chinoise handicapée qui s’est faite agresser par un manifestant pro-tibétain lors du passage de la flamme à Paris. Cet acte est condamnable sans hésitation, cela ne se fait pas. Mais le pouvoir chinois qui a envoyé des chars à Lhassa, réprimé violemment les émeutes et procédé à des milliers d’arrestations, monte en épingle le « phénomène Jin Jing« , tandis que le pouvoir français qui n’est pas responsable de ce débordement, se répand en excuses qui virent à la génuflexion, comme le dit Tristan.
Pendant ce temps on n’entend plus parler du Tibet. Logique, tous les journalistes ont été expulsés de ce territoire. Si le dalaï-lama n’obtient pas de reprise du dialogue avant les JO – et c’est vrai que c’est cela le plus important au fond, plus que le boycott de la cérémonie d’ouverture – les tibétains sont cuits. (A noter qu’une certaine gauche, J-L Mélenchon en tête, dénigre la cause tibétaine. Parce qu’elle est menée par des moines ? Ou parce que le pouvoir chinois se qualifie encore de communiste ?) Comme le dit Matthieu Ricard « Après les JO, ce sera fichu, on ne parlera plus du Tibet ». Cela aura aussi une conséquence facheuse : la preuve que l’action non-violente ne marche pas… Voici de larges extraits de son interview du 16 avril à Télérama  :

Comment avez-vous vécu les événements de mars ?
D’aussi près qu’on peut l’être depuis que les journalistes ont été contraints de quitter Lhassa, c’est-à-dire à travers le récit des témoins. Au Népal, dans le monastère où je vis, chaque jour, des gens qui ont de la famille au Tibet reçoivent des coups de fil les informant de ce qui se passe.[…]
Ces témoignages sont les seuls qui existent désormais ?
Oui, depuis que James Miles, de la BBC, le dernier journaliste sur place, est parti le 16 mars. On sait que deux jours plus tôt, dans le quartier du Barkhor, des Tibétains ont effectivement brûlé des boutiques, on a tous vu ces images tournées par la télé chinoise – sans qu’on soit certain que tous les « casseurs » étaient de vrais moines. Mais on n’a rien vu de ce qui se passait un peu plus loin au même moment : la police chinoise qui tirait sur la foule dans les quartiers de Karma Gonsar et Drapchi, alors que les chars bloquaient les issues. De cela, il n’y a pas eu d’image – ou, s’il y en a eu, nous ne les verrons peut-être jamais. Et les journalistes encore présents le 14 n’ont pas vu grand-chose, ils étaient confinés dans leur hôtel et regardaient de la fenêtre.
Finalement, vous avez suivi les événements comme en direct ?
Oui, les nouvelles tombant à raison de trois appels par jour. […] A date du 4 avril, nous avons compté plus de cent cinquante morts. Et qu’on ne vienne pas nous dire que nous faisons de la propagande : sur ces cent cinquante morts, nous avons les noms de quatre-vingt-dix, et, croyez-moi, ils ne sont pas morts en mangeant des croissants… Le gouvernement tibétain en exil est très scrupuleux sur la qualité des informations qu’il fournit, il ne gonfle pas les chiffres, il n’en a hélas pas besoin. Comme le dit souvent le dalaï-lama : notre force, c’est la force de la vérité. Sinon, nous n’en avons aucune.
Et ces derniers jours (premiers jours d’avril), quelles sont les informations que vous recevez ?
On parle de plusieurs milliers d’arrestations. L’ensemble de Lhassa est sous surveillance vidéo depuis des années, alors l’armée chinoise a visionné les images, et avec les responsables locaux de la police, elle a identifié les manifestants. Le tout après avoir imposé le couvre-feu le plus strict qui soit. L’autre jour, à Katmandou, un journaliste français me demandait de l’aide pour entrer au Tibet en cachette. Il disait : « Mais si, ce doit être possible ! On peut entrer en Afghanistan, en Irak, alors pourquoi pas au Tibet ? » Nous lui avons expliqué qu’il ne se rendait absolument pas compte ! A Lhassa, aujourd’hui, un étranger ne fait pas 3 mètres ! Et un Tibétain doit avoir un laissez-passer du policier qui tient son secteur pour faire ses courses 300 mètres plus loin. Il n’y a plus une voiture civile ou un autobus circulant entre Lhassa et les villes voisines : il n’y a que les véhicules militaires sur les routes. Le dernier Français qui est sorti, un touriste, a passé quinze postes de contrôle ! Puis le blocus a été décrété. […]
Plus largement, considère-t-il que ses demandes à la Chine – l’autonomie du Tibet, et non pas son indépendance, et le respect des valeurs du peuple tibétain – sont toujours pertinentes ? Il semble bien que la rue demande plus qu’une simple « autonomie ». Ne se sent-il pas débordé ?
Le dalaï-lama insiste toujours sur le besoin de pragmatisme. Pour le peuple tibétain, la question est simple : que peut-il espérer ? l’indépendance ? Les Tibétains n’ont guère de chances de l’obtenir. La Chine a trop besoin du Tibet. Stratégiquement et économiquement, le Tibet est un enjeu majeur. Pékin vole au Tibet son uranium, son lithium – sans parler des deux cent cinquante autres minerais présents dans le sous-sol –, et mise énormément sur le potentiel hydro-électrique de toute la région, le plus important au monde. Le Tibet, c’est sept fois la France et un tiers de la Chine, avec 2 000 kilomètres de frontières avec l’Inde. C’est aussi un territoire qui comptait 40 % de forêts, une richesse déjà amputée de près de sa moitié – et tout ce bois est parti en Chine. Et vous savez ce qui se passe aujourd’hui ? A cause des inondations en aval, côté chinois, les Tibétains, qui ont déjà été spoliés de leurs forêts, n’ont même plus le droit de couper un arbre près de chez eux.
Mais cela doit vous révolter ? Pourquoi alors ne pas demander plus qu’une autonomie ?
Parce que ce n’est pas réaliste ! Le dalaï-lama se fonde sur des paroles de Deng Xiaoping, qui a dit, voici trente ans : « On peut discuter de tout, sauf de l’indépendance. » Alors Sa Sainteté dit : « D’accord, je renonce à l’indépendance, mais parlons d’autonomie et de respect de notre culture et de nos valeurs. » On peut penser que dans le fond de leur coeur les Tibétains voudraient bien l’indépendance, mais ils soutiennent le pragmatisme raisonnable du dalaï-lama. Car si les relations avec la Chine étaient plus harmonieuses, cela pourrait être bénéfique pour les Tibétains, notamment en matière de commerce et de santé. Le combat tibétain n’est pas un combat nationaliste, mais un combat pour protéger une culture. 
Mais la Chine, elle, impose ses dogmes et écrase cette culture ! A Lhassa, la ville tibétaine disparaît sous les néons des karaokés…
Oui, on peut penser qu’il se passe la même chose qu’en Amérique du Nord pour les tribus d’Indiens. A Lhassa, les Chinois, qui sont maintenant majoritaires, imposent leurs moeurs, l’alcool, les karaokés, les bordels. Savez-vous qu’il y a plus de prostituées par habitant que dans n’importe quelle autre ville chinoise ? Il y a trois cent cinquante bordels à Lhassa ! On peut dire que la modernité a du bon, bien sûr, quand il s’agit par exemple des cafés Internet, mais quand on y va, que voit-on ? Des gamins qui jouent en réseau du matin au soir à des jeux de guerre. Pour un prix ridicule, ils ont droit à leurs cinq heures de mitraillette. Ou alors à du « chat » on line avec des copines virtuelles en Chine. Et c’est à peu près tout pour Internet, l’accès aux sites non chinois étant largement bloqué.
[…]Qu’espérez-vous des prochains mois ?
Que le dialogue avec le dalaï-lama soit accepté des Chinois. Rapidement ! Car si ça ne se passe pas avant les jeux Olympiques, ce sera fichu, on ne parlera plus du Tibet… Ce qui me rend triste, c’est de voir que le combat pacifique du dalaï-lama n’a encore rien donné de concret. Si c’était le cas, ce serait un exemple pour tous les pays du monde, tous les peuples en lutte, en Palestine et ailleurs : regardez, on peut obtenir beaucoup par la patience et la non-violence ! D’une certaine façon, ceux qui ne soutiennent pas plus vigoureusement notre cause plaident pour le recours à la violence.
–> interview complète

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Publié le 23 avril 2008, dans politique et société, et tagué , , . Bookmarquez ce permalien. 3 Commentaires.

  1. Mais non, il ne faut pas relâcher la pression après les JO.
    Car en 2010 il y a l’EXPO UNIVERSELLE à ShangaÏ.
    Vous avez peut-être remarqué que j’en parle déjà sur mon propre Bloc-Notes…
    Bien cordialement, jf.

  2. Sans doute, mais je ne suis pas très optimiste pour le Tibet car le temps joue en faveur de la Chine. Quand le pouvoir chinois se décidera à lacher du lest (dans 10 ans, dans 15 ans ?) le Tibet n’existera plus, vu les modifications démographiques en cours.

  3. Connaissez-vous Jin Jing ???
    pourquoi tant d’hommes de mains chinois partout autour de la flamme (je préfére le mot torche pour l’occasion)
    pourquoi aucun de ces hommes de mains chinois autour de Jin Jing

    c’est à se demander si tout cela n’est pas simplement un coup monté
    c’est à se demander pourquoi si peu de gens se posent cette question

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